#balancetonporc #metoo, tout d’abord j’ai pas compris. Et puis, ah oui c’est à cause de ce fameux Weinstein ! Ce fameux, en effet. Célébrité pour un cercle fermé devenue en 1 clique un nom commun, un adjectif et pourquoi pas un verbe : « Arrête de faire ton Weinstein, toi aussi tu as été weinsteinisé, etc. ». Ça, c’était avant que le rayon boucherie s’en mêle. « Balance ton porc » ? J’ai bien lu ? Par souci d’équité, j’ai cherché « balance ta truie », mais ça, j’ai pas trouvé. Et puis, ont déferlé sur ma page les « me too » provenant d’un grand nombre d’amies. C’est plus discret « moi aussi », on hésite, on se dit « et moi ? Est-ce que cela m’est arrivé ? » Alors on remonte en arrière et on réalise que dès la maternelle ça a commencé. Devoir lever sa jupe devant les garçons, voir son joli nom transformé en « belle pine, deux j’touche trois j’tripote » (il faut savoir qu’à l’époque je n’avais encore jamais embrassé un garçon), et puis les études à Lyon où je serai amenée après 15 jours à devoir jeter toutes mes jupes pour ne plus avoir à entendre des réflexions mâles/mal placées, les mains aux fesses des clients dans les restaurants où on bosse l’été, la liste est encore longue. Je m’arrête là. Et je n’écrirai pas « balancetonporc » ou « metoo ».
Prenons l’histoire sous un autre angle. Ces hashtags ont eu le temps en trois jours de faire dix fois le tour du monde, on peut donc imaginer sans trop se tromper que les jeunes femmes nigériennes internées dans les camps de réfugiés en Libye, par exemple, ont largement eu accès à cette information (allez savoir pourquoi tout le monde a des smartphones, aussi là-bas). Ces jeunes femmes étant quotidiennement violées par leurs geôliers (payés par l’Union européenne, mais c’est une autre histoire), comment ont-elles réagi ? Ont-elles aussi balancé leur porc…
– Arrête Delphine, ce n’est pas du tout la même chose…
Vous avez tout à fait raison, ici on parle de viol, de néantisation et esclavagisme du féminin depuis la conception embryonnaire, pas de harcèlement ordinaire. Je fais cependant le parallèle. Quand j’ai lu les « me too », j’ai d’abord pensé que mes amies parlaient de la fois où elles ont été violées et ma première pensée a été « je ne peux pas faire ça à ma mère, pas mettre un viol en pâture sur les réseaux sociaux, même si cela peut aider ». C’est plus tard que j’ai compris. En effet, le harcèlement ordinaire conduit immanquablement au viol. De la même manière que l’aliénation des femmes dans de nombreuses sociétés encore aujourd’hui, conduit à leur viol répété. D’une manière sournoise et surtout adoubée par chacune de ces sociétés. Les leurs, comme la nôtre. La preuve, tout le monde s’en fout. Les garçons de la maternelle n’ont jamais été grondés par la maîtresse pour m’avoir obligé à lever ma jupe, c’est moi qui ai été puni, qui me suis senti coupable. Le patron du restaurant a toujours insisté pour que mon décolleté soit plongeant et de ne pas prendre trop à cœur les gestes et remarques des clients, « c’est bon pour ton pourboire ». On apprend que c’est comme cela que ça marche, tout comme on apprend très jeune à se maquiller pour « être belle ». On ne sait pas pourquoi, mais on a compris qu’une femme devait acheter des sous-vêtements sexy pour se sentir bien dans sa peau, mettre des talons pour galber ses jambes, etc., pas la peine de faire un tableau.
Pourquoi ?
Pour être belle ? Cela n’a aucun sens, sinon de dire que les hommes étant per se plus beaux que les femmes, celles-ci doivent se dénaturer pour atteindre le même idéal esthétique.
Pour plaire ? OK. Cela me parle. Nous les filles, nous apprenons à plaire parce que nous le devons. 1er mantra.Étant par nature plus faibles nous devons chercher protection. 2e mantra. Et tandis que l’homme protégera la femme, celle-ci produira de la chaleur : du logis, de son vagin. Conclusion : comme les rapports humains sont toujours étonnamment et majoritairement archaïques, la femme cherche à plaire au plus fort pour obtenir sa protection (détour pour la gent masculine qui se sent exclue de ce jeu : désolée, on n’est que des bêtes recherchant le mâle alpha pour la nutrition et la reproduction). Mais se protéger de quoi ? Des autres prédateurs pardi ! Des fameux « porcs », de l’État, de son patron, de son chef de service, de ses clients. Et pour cela, il vaut mieux ne pas vieillir et porter des sous-vêtements sexy avec les talons et le rouge à lèvres ad hoc, sinon danger de se retrouver exclus des arcanes de la société. Et le pire dans tout cela, je n’exagère rien. Pourquoi le sommet de la sexitude chez les hommes est le slip Dim des années 90 (un vulgaire boxer en coton pour celles/ceux qui sont trop jeunes) tandis que nos corps s’exhibent dans tous les magasines et spots publicitaires en permanence ? Qu’il faille suivre des tutos et s’endetter pour du make up ? Refaire sa garde-robe continuellement ? Apprendre à se taire ? Même après un viol ?
Criez autant que vous voudrez au scandale, mais je maintiens que la société m’a contrainte à faire de moi un objet de désir, dont la valeur se mesure à l’aune du nombre de harcèlements que j’ai subi et subirai.
Et puis parfois, il y a des pauses. Ah les joies de la maternité ! Pendant neuf mois, nous ne sommes plus des objets, nous devenons des saintes ! Nous sommes à l’apogée du rôle qui nous est alloué. Un peu comme l’homme partant à la guerre ou faisant le djihad qui remplit pleinement sa fonction de viande pour la boucherie à venir (encore le porc, on ne s’en sort pas). La femme, une sainte/l’homme, un martyr ; avouez qu’il y a des parallèles inquiétants.
Mais revenons à nos moutons : Balance ton porc.
Et pourquoi pas : balance ta truie ? Je pose la question sincèrement. Parce que j’ai pu remarquer en 41 ans que le harcèlement n’est pas uniquement l’apanage des hommes. Combien de fois ai-je pu voir des femmes arriver au pouvoir et, pouvant à leur tour jouer le rôle du protecteur, user et abuser de ce pouvoir ? N’ai-je pas moi-même user de népotisme envers mes étudiants, mes collègues ? Je le dis sans honte, je préfère travailler avec des hommes, car sur eux je peux avoir l’ascendant, les castrer. C’est la règle du jeu et la seule qu’on nous apprend (sur ce sujet, je vous invite à lire La force des forts de Jack London, édifiant !). Mais notons une différence de taille. Le harcèlement sexuel ne fait pas partie des actes de népotisme féminin, ne peut pas en faire partie généralement (il y a bien sûr des cas isolés, mais ils sont tellement rares qu’ils ne peuvent être une généralité comme cela peut l’être dans l’autre sens).
Parce que l’homme n’est pas un objet de désir. On peut le désirer, mais pas le chosifier. Même les pubs pour les parfums n’y parviennent pas.
Alors, les filles, avant de balancer vos porcs, pensons à changer les choses en profondeur. Filles et garçons, nous jouons le jeu. Arrêtons. Arrêtons de chercher à plaire, à faire ce qu’on nous dit de faire, affichons notre différence (je rêve d’avoir un jour les ovaires couilles pour installer sur la porte de mon bureau « ne pas déranger, danger de morsure, je menstrue et j’ai soif de sang »), ouvrons là quand ça va pas, taguons toutes les affiches où nos corps sont mis en pâture, faisons pression sur le gouvernement pour interdire tout échange monétaire, commercial ou militaire avec les pays ne respectant pas les droits élémentaires et fondamentaux des femmes et des enfants, faisons pression pour obtenir un plan national de soutien massif pour les mères célibataires afin qu’elles puissent dignement vivre, travailler et élever leur(s) enfant(s) (combien de femmes acceptent et subissent sans broncher d’être dominer, terroriser de peur de tomber dans la misère). Et surtout, n’oublions jamais : les mecs sont, tout autant que nous, des gens formidables qu’on a mal élevés.