Un petit théâtre perché au premier étage d’une ancienne usine réhabilitée en centre
culturel. Les gens s’amassent devant le bar associatif, soufflant sur leurs doigts gelés par l’hiver précoce. Pendant ce temps, assise dans le coin gauche des gradins, à côté de la porte d’entrée, j’attends mon tour, paniquée. Ce samedi, j’ai eu le plaisir de lire pour la première fois quelques pages de ma prose. Comme arbitrairement Adult(R) figurait dans le programme, ce sont des extraits de ce livre que j’ai donné à entendre lors d’une scène ouverte organisée par La Ménagerie, l’association du théâtre francophone berlinois. La programmation est variée : stand up, masque, conte musical, chanson française. Et au milieu, un peu de littérature. La salle est pleine de gens faisant la moitié de mon âge, ce qui n’est pas pour me détendre.
Double première. Première lecture publique, première pour Adult(R). Les gens ne vont pas lire mon texte, ils vont l’entendre. Entendre la « voix » de l’auteur(e). Et ma première question est : comment lire ? Le propre de la littérature est de permettre au lecteur d’y poser sa voix intime, de faire résonner les mots dans son crâne comme il l’entend. Me faudrait-il opter pour une lecture neutre comme je l’ai souvent expérimentée ? Ce genre de lecture qu’on adopte au théâtre quand les acteurs se réunissant la première fois pour la fameuse « lecture à la table ». Pas d’intention trop plaquée, pas de « ton », simplement laissé respirer le texte pour qu’il se révèle pas à pas. Cela semble adéquat et pourtant… 1 jour avant la lecture, je reçois un mail qui m’explique le déroulé de la soirée et réalise que je ne serai pas « à la table », mais debout devant le public, a capella, éclairée par des projecteurs et tout le toutim propre aux représentations théâtrales. Bran le bas de combat, changement de programme. Ce que j’ai appris depuis le temps, quand on est sur scène, on accepte ses règles. C’est la scène qui montre le chemin, qui délimite le cadre. Gare à vous, si vous ne jouez pas le jeu. Vos mots ne passeront jamais la rampe. Les Allemands ont même un mot pour ça : » Lesebühne » ou « scène pour lire ». En un instant, je balaie l’option traditionnelle d’une lecture frontale confortablement assise sur une chaise, le manuscrit reposant sur un bureau, le nez dans le texte, pour une variante plus scénique adaptée entre autres de mes soirées au So 36 (et hop pour savoir de quoi je parle, on clique là). Et pour plaire au chaland, il va falloir aller dégoter les passages qui sonnent, ceux plus proches de la « Sprachliteratur » (« littérature à dire », qui est un genre en soi en Allemagne, et non monsieur, ce n’est pas que du slam) que « du côté de chez Swann » (bon, peut-être que j’exagère un peu ici). Les extraits doivent être concis, rythmés, si possible le premier un peu drolatique, pas tout de suite plomber l’ambiance avec ses angoisses métaphysiques, éviter les passages où il faut avoir lu les 50 premières pages pour comprendre l’action, etc. Oh la la, j’ai failli en perdre mon latin et me suis perdue tout court en recherchant ces pépites-là. Une heure avant le début des festivités, j’ai abdiqué et choisi très arbitrairement 3 extraits, plus en raison de leur brièveté qu’autre chose avec des options au cas où, miracle, je n’aurai pas vidé la salle dès les premières phrases. Je me suis un peu entraînée à la maison aussi, surtout pour voir si j’arrivais à tenir à bout de bras le manuscrit pendant trente minutes (je vous jure, c’est pas si simple, et la crampe n’est jamais loin) et vérifié que dès le moment où je devrais faire porter ma voix (les joies de la scène non amplifiée), il y aura plus de ton et d’intention que la décence ne le permet normalement aux auteurs. On va faire du Gallienne en quelque sorte. Et c’est ce que j’ai fait. En toute franchise, j’ai même cabotiné… Et comme l’acteur qui se met à jouer avec son public devant le regard effaré et outré de son metteur en scène, je me suis amusée. Mais comme à ce moment précis, je tenais le triple rôle d’auteur, metteur en scène et interprète, je pouvais faire ce que je voulais ! Il faut dire que le public ne m’a pas aidé. Dès la deuxième phrase, il s’est mis à rire, et puis quatre lignes plus loin à écouter. Vous savez quand le silence devient vraiment opaque, intense et attentif ? J’ai pas pu résister. C’était ma scène, mon public, mes mots à moi.
Cet exercice a été contraire à l’orthodoxie littéraire, mais il m’a galvanisée. Je pense qu’un auteur allemand lisant ce qui précède se demandera si je ne suis pas toquée, ils ont l’habitude de ce genre de performance, mais pour une Française, ce n’est pas si simple. Et pourtant, fut un temps pas si éloigné où nos grands auteurs nationaux lisaient leurs romans de A jusqu’à Z pour la radio. L’Étranger, lu par Camus, est un classique du genre. Et eux aussi cabotinent, donnent à entendre peut-être autre chose que ce qu’on lit. Je trouve que ça a du sens. D’ailleurs, je vois les auteurs s’y mettre de leur côté et pour l’illustrer je ne peux que recommander de vous abonner aux podcasts de l’excellent Neil Jomunsi, auteur français exilé à Berlin qui donne à lire et à entendre les nouvelles de son projet Bradbury (écrire 52 nouvelles en 52 semaines, soit une année). On est très loin de l’approche outre Rhin où de nombreux auteurs enregistrent la version audio de leurs livres en public, dans des salles de théâtre, où ils sont seuls en scène, directement en contact avec leur auditoire. Ce genre d’évènement est pris d’assaut comme pour un concert de Byonce, même si cela oblige le spectateur à venir tous les soirs pendant une semaine écouter trois heures durant un auteur lire ! Pour moi qui viens du théâtre, cela fait sens, donner à entendre la voix de l’auteur, et il n’est pas impossible que je m’y mette très vite… À bon entendeur (jeu de mots tout pourri, mais j’adore…)
Merci à tous ceux qui sont venus m’écouter samedi dernier, merci pour vos mots après la soirée, vos rappels pour que je lise encore un texte, vos rires, la qualité de votre silence et de votre écoute. On s’est bien amusé. Je le refais quand vous voulez !