Hier soir, dans ma boîte aux lettres un oiseau s’est glissé pour me parler d’amour…
C’était la jolie voix un peu rauque aux accents mouillés de l’Est de la France de Claire, mon amie. Petite cachotière. Tandis qu’elle bravait le FN dans son fief d’Hénin-Beaumont et qu’elle donnait corps aux mots du petit Hanush qui attendait son train dans le ghetto de Theresienstadt, quand la nuit était tombée, elle laissait épancher son cœur et écrivait un long poème à l’être aimé, « J’aurai préféré que nous fassions obscurité ensemble ». Et comme elle « ne sait pas parler à la poussière », elle fait de la mort l’essence même du vivant. Tour à tour femme-oiseau, garde-manger, fiancée éternelle, tricheuse émérite, sablier, encre pour la plume, absente, main, forêt, les poèmes s’allongent ou tentent de disparaître au fur et à mesure du temps qui passe du vivre à deux au vivre seul.
Un fantôme
et
une veuve
Est-ce qu’on reste amoureux ?
Claire Audhuy porte des lacets bleu-blanc-rouge, des bermudas en laine et un béret, mais c’est en longboard qu’elle se rend aux rendez-vous. Avec son écharpe orange hermès et son carré parfait, on l’imagine facilement rejoindre la manif pour tous, mais elle a mieux à faire comme recouvrir les affiches de Marine avec les mots de femmes migrantes, faire jouer aux enfants des pièces écrites dans les camps de concentration, monter une pièce de marionnette en lousdé dans un camp de réfugiés palestinien à Bethléem. Claire est un paradoxe et je crois qu’elle aime bien brouiller les pistes. On lui donnerait le Bon Dieu sans confession, mais quand on la laisse entrer, c’est un ouragan d’humanisme qui déverse sa furie. On la croise parfois accompagnée d’un grand échalas qui se courbe pour vous embrasser et parfois même vous baiser la main. Il parle peu, sait écouter. Elle est rapide, veut tout, parfois trop vite, parfois trop tôt. Il lui donne le bon tempo. Leurs faits d’armes sont déjà mémorables et ce n’est que le début, à moins que…
Ce moins que, ils l’ont vécu de près. Le hasard a fait que je n’étais pas loin quand l’homme aux huit lettres fut rapatrié d’Inde et couché dans un lit des jours puis des semaines durant sans que la médecine y voie clair. Même si je lis que ces lignes, Claire(s), tu les as écrites pendant le massacre du Bataclan, je sais quand les larmes se sont transformées en voyelles et consonnes pour former un torrent qui devait se déverser quand d’autres hommes et femmes se feraient tuer, et qu’à leur tour quelqu’un un jour devrait « chercher des traces, des morceaux de toi, que la mort aurait oubliés ». Je n’étais pas loin et je revois ces galets que tu ramassais sur la grève du Léman, avec au loin les montagnes. Mes montagnes, tes forêts.
Claire, je t’ai toujours trouvé des accents de Louise Labbé et d’Emily Dickinson. Te l’ai-je déjà dit ? Il y a quelque chose que j’ai du mal à exprimer autrement qu’en disant que tu te fiches de ton temps. Si ce n’est pas un comble ! quand on se bat comme toi contre un certain état du monde et l’oubli. Mais oui, tu te fiches du temps ! Ce pourrait être hier, aujourd’hui ou demain, tu es là où ton cœur te dit d’être. Délicieusement surannée, femme enfant, maîtresse redoutable, terrienne et oiseau, laisse-moi encore longtemps m’étonner de tes mots, poser en échos tes questions.
As-tu bien
commencé ta mort ?
La poésie est un dialogue de soi à soi dont on oublie trop souvent la vertu. Hier soir, un oiseau s’est glissé dans ma boîte aux lettres et s’est approché de moi, m’a rappelé mes morts, leur absence, le silence et l’amour qui reste malgré soi.
Toutes les citations sont extraites du recueil, « J’aurai préféré que nous fassions obscurité ensemble », et la propriété de Claire Audhuy.