Quand sait-on qu’on se met vraiment à écrire ?
Si on m’avait dit qu’en 18 mois j’écrirais trois romans, en publierais un à compte d’éditeur et m’attaquerais au quatrième, j’aurais certainement sorti une boutade comme :
Et dans ton plan de carrière, je dors quand ?
Mais fait est d’avouer que c’est bien ce qui s’est passé. Une amie avec qui je célébrais soir le point final (20 h 43 heure allemande) de mon dernier manuscrit et à qui je disais que l’euphorie chez moi durait une dizaine de minutes avant que mon esprit soit embué par les différentes étapes encore à venir (corrections, réécriture, recherche d’éditeur, accumulation de matériel pour le prochain livre avant l’été, lancement d’Adult(R), etc.) me demanda de répéter après elle ce mantra :
— 1. est-ce que tu as été au bout de trois romans en 18 mois ?
— Oui.
— 2. est-ce que tu as trouvé un éditeur pour un des romans pendant ce temps ?
— Oui.
— 3. vas-tu continuer à écrire ?
— Oui
— Faut t’y faire. T’es écrivaine.
Est-ce que cela est suffisant ? Parce qu’il y écrire un roman et écrire tout court. Apparemment, la moitié de la France s’essayera au moins une fois au premier exercice. On aurait tous quelque chose à raconter et si possible au plus grand nombre. Mais combien d’entre nous parviendra au bout de la première étape : écrire une histoire de A à Z en prenant soin à ce que l’ensemble soit digeste ?
L’écrémage commence.
Heureux, tenaces, nous nous sommes accrochés et nous tenons un premier jet. Voilà t’y pas qu’il faut se mettre à être critique. Mais on est tellement fier de ce petit exploit qu’on ne parvient pas à en assumer les défauts. Un peu comme avec ses enfants. « Mais enfin, ma fille ne mord jamais ! Si elle le fait, c’est de la faute de votre enfant. » Votre livre n’a jamais tort. C’est le lecteur qui est décérébré s’il n’apprécie pas les ruptures sémantiques, les anacoluthes et autres figures de style dont vous venez d’apprendre le nom et qui à votre avis justifient l’illisibilité post-moderne de l’ensemble. Oui, oui. C’est certain.
Mauvaise nouvelle, vous allez devoir corriger votre manuscrit et quand je parle de corrections je ne parle absolument pas des fautes d’orthographe (problème qui soit dit en passant aurait déjà dû être réglé dans le premier jet). Corriger, c’est être prêt à réécrire, à remanier, à perdre le fil. Ceux qui sont passés par cette étape pourront en témoigner. C’est l’enfer qui rencontre le paradis. Combien de fois ai-je pensé tout bas sinon en criant : cela ne vaut rien! En effet, votre premier jet ne vaut rien, mais il contient en lui l’essence d’un bon livre. Corriger, c’est partir à la recherche de ce livre dans le livre. Vous voilà prévenus.
C’est à ce moment-là (quand vous tenez enfin votre livre) et à ce moment seulement que vous pourrez oser le faire lire à quelques personnes choisies avec soin avant d’envisager la phase finale : l’envoyer à l’éditeur. Vous savez que vous tenez quelque chose qui ne révolutionnera peut-être pas l’histoire mondiale de la littérature (tout le monde n’est pas Kerouac), mais qui sans prétention ni jeu de mots (enfin peut-être un peu – je viens de finir un roman, je suis de bonne humeur) tient la route. Vous pouvez enfin écouter les critiques et analyses, savez faire le tri entre ce qui doit bouger et ce qui mérite de résister aux commentaires. Vous commencer à parler « littérature », non plus à ressasser « mon livre ».
Soyons honnêtes, à ce stade, nous ne sommes plus qu’un millier. Ouf, on a eu chaud ! C’est un peu comme pour le jogging. Au début du printemps, tout le monde s’y met et croit sérieusement que cette année sera la bonne : on participera à des courses. Heureusement, Darwin et la sélection naturelle calmeront progressivement le flux des bipèdes haletants sur les trottoirs et seuls les plus méritants se tiendront sur la ligne de départ du marathon. En société, on se met même à assumer. « J’ai écrit un roman. » On se dit aussi qu’on peut en être fier. Que peu de gens finalement en sont capables (comme pour le marathon, vous suivez ?) Qu’on devrait pourquoi pas le mettre sur son cv. Bien sûr, on n’est pas Marcel Proust, d’un autre côté cela vaut mieux ne pas être dans sa peau. Mais si on a fait le boulot avec honnêteté, ça doit bien avoir son petit mérite ?
Un petit soupçon de bien-être avant la douche froide : les éditeurs. Dernière étape à franchir pour commencer à se dire : non je n’ai pas écrit un roman, j’écris.
Est-ce le fait d’être publié ou de commencer à avoir « une œuvre » ? Petit à petit, j’accepte qu’écrire, lire et penser la littérature et la création fassent partie intégrante de qui je suis. Même si je bredouille encore beaucoup devant le mot auteure.
Trêve de bavardages, je laisse reposer six semaines mon manuscrit avant de m’attaquer aux corrections. À cause de lui et de la préparation de l’édition d’Adult(R), j’ai snobé ce blog assez longtemps. Je vous annonce solennellement qu’à partir d’aujourd’hui, je vous ferai part de ce que j’ai appris, de ce que je ne sais pas, de ce qui est futile et de ce que l’on ne dit pas. D’après mes recherches, c’est ce genre de chroniques qui attire le chaland, et des chalands, je vais en avoir besoin pour vendre mon premier roman ! Vous voilà prévenu de mes basses intentions, héhé !
Quelques idées de posts, histoire de vous faire revenir….
Les écrivains dyslexiques ; pourquoi tout le monde s’en fout quand on écrit un livre (surtout son conjoint); la vie après les refus des éditeurs ; j’ai tout raté, donc j’écris ; ne pas perdre le fil face à l’adversité du quotidien ; le premier roman n’est jamais le premier ; la vérité sur les contrats d’édition ; garder le moral en corrigeant ; trucs et astuces pour aller au bout, etc., etc.
Et bien sûr, je compte sur vous pour me faire des propositions !