L’année de ma naissance sortit une étude qui aurait dû dévier la marche du monde. Si vous avez plus de 60 ans, ces noms ne vous seront pas inconnus : Shere Hite et son rapport.
Premier travail de cette envergure, cette sociologue récolta pas moins de 100 000 témoignages sur la sexualité des femmes aux États-Unis. Trente millions de lecteurs purent ainsi découvrir que :
1. l’orgasme féminin n’est pas tabou
2. tout comme l’adultère.
Ce qui aurait dû faire l’effet d’une bombe fut immédiatement discrédité par ses collègues masculins qui s’appliquèrent à anéantir les qualités scientifiques de ses recherches. Comment en effet accepter que 75 % des femmes américaines après cinq ans de mariage reconnaissent avoir eu ou toujours avoir des amants ? Pour rappel, le paramour est encore illégal et susceptible de poursuites judiciaires dans 21 États des États-Unis. Chaque année, un rapport semblable sort.
Aujourd’hui, il semblerait que 81 % soient un chiffre plus réaliste. 81 % ! Je suis tombée sur ces recherches et ces chiffres à la moitié de l’écriture d’Adult(R). Mes préoccupations initiales étaient beaucoup plus personnelles. Après deux enfants et dix années de mariage, j’observais impuissante le désir occuper une place de plus en plus importante dans ma vie. La quarantaine n’a définitivement rien à envier à la puberté, car le sexe en plus de diriger la vie doit se vivre en silence. Il faut se taire, garder pour soi ses fantasmes ce qui, vous en conviendrez, n’arrange rien à l’affaire. Pour pallier la loi du silence, le premier réflexe est de se tourner vers la Toile et c’est là que les ennuis commencent. Un peu comme Julianne, je me suis mise à accumuler les articles sur l’amour libre, le polyamour, le monomariage (sur ce sujet encore très peu connu, je recommande la magnifique enquête de Polina Aronson) et la sologamie, exigeant de mon homme moderne qu’il soit à l’écoute et me suive dans mes recherches. Puis vint l’étape cruciale de prendre un amant. Je dois faire mon mea culpa et avouer que j’ai lâchement échoué. Mais j’en ai parlé. Pour la première fois, j’ai parlé de ce qui me rongeait à d’autres femmes et leurs réponses m’ont abasourdie. Beaucoup avaient eu ou avaient un amant. Et surtout, elles avaient besoin d’en parler. Je décidais d’étendre mes recherches à un plus grand nombre de cobayes et commençais à leur insu à interroger des femmes, pour la plupart de simples connaissances rencontrées devant les grilles de l’école, ou dans des soirées. Ma technique d’approche était très simple. Il suffisait que je commence la conversation par « j’ai voulu prendre un amant, mais n’y suis pas arrivée » pour que les langues se délient. Comme Shere Hite en 1976, je suis tombée des nues. 81 % ne sont certainement pas loin de la réalité. Mais surtout, j’ai enfin compris que s’il y a autant de cas de figure que de femmes, jamais l’adultère n’est un geste fait contre l’autre. C’est toujours quelque chose pour soi. Cela reste pour moi une énigme que cela ne soit toujours pas admis comme étant la normalité dans notre société. Et en effet avec ce matériel, j’aurais pu imaginer un livre sur un microcosme qui l’accepte enfin ou faire l’apologie de l’infidélité. Malheureusement, nous sommes encore à des années-lumière de cette utopie (ou cauchemar selon à qui on s’adresse) et il m’a semblé plus juste d’écrire sur ce qu’être une femme de quarante ans aujourd’hui. Si j’avais eu le courage, j’aurais d’ailleurs appelé ce livre La femme de quarante ans comme suite légitime du livre de Balzac, mais gardons encore un peu d’humilité.
Grâce à vous ce qui n’était au départ qu’une série de questions intimes est devenu un livre qui parle de nous toutes. Je l’espère. C’est donc vous que je veux d’abord remercier, pour avoir ce courage-là, parce que coûte que coûte vous continuez à ressentir et à jouir (et Dieu sait que cela peut coûter cher), mais aussi parce que je ne connais personne de plus sincère et fidèle que vous. Vous avez un jour décidé de ne pas renoncer au désir tout en préservant votre foyer. J’espère que la suite de votre vie sera plus douce que dans ce livre même si je pense que pour cela, il faudrait changer quelques petites choses dans notre société.