Le 8 mars 2019 sortez les trompettes!

capture d_écran 2019-01-24 à 22.33.43Ou sortez les fanions et les trompettes ! Le 8 mars devient dès cette année un jour férié à Berlin. J’entends déjà les empêcheurs de se réjouir nous dire, « mais il y a quoi le 8 mars ? ». Ou les initiés : « enfin, est-ce vraiment une bonne chose ? À ce rythme on va avoir le jour férié des gilets jaunes (#giletsjaunes), des bonnets rouges (#bonnetsrouges) et des t-shirts rayés (#tshirtrayés). Mais quoi ? Un petit #metoo sur Twitter et Instagram et la ville perd 160 millions de revenu annuel. Vous êtes sûr que cela en vaut la peine ? » Comme je l’ai dit, c’est la réponse des initiés.

Revenons en arrière. Le 8 mars 1977, l’ONU (ou UN pour le reste du monde) invitait (-ent pour le reste du monde) tous les pays de la planète à célébrer une journée en faveur des droits des femmes. Notez qu’il leur a fallu du temps pour se décider :

1909 — National Woman’s Day aux États-Unis suivi deux ans plus tard par le International Women Day (attention, on fait monter les enchères) avec des revendications telles que le droit de vote des femmes (mais vous êtes fou ? De toute façon, nous votons comme le curé), le droit au travail (faut pas exagérer ! Et le chômage, vous y avez pensé avant d’aller vous exhiber avec vos banderoles dans les beaux quartiers ?) et la fin des discriminations au travail (faudrait commencer par trouver un job et assurer au foyer avant d’exiger n’importe quoi, n’importe comment ? Et comment vous allez les faire et les élever vos enfants avec toutes ces revendications, vous y avez pensé ?). Comme on peut le voir, côté revendications, on suit toujours la ligne du parti. Mais qui a dit que les femmes étaient entêtées ?

Bon en avant, et autre continent : 1917 – Révolte des femmes de Petersburg et début de la révolution de février. Elles voulaient juste du pain et le retour de leurs hommes partis au front. La suite on la connaît.

Exactement 60 ans plus tard, l’ONU (toujours UN pour le reste du monde) prend le taureau par les cornes au sens propre comme au figuré et crie haut et fort que le 8 mars, nous les filles, nous avons droit de faire un peu de show off et de laisser entendre notre voix (et revendications). Ne croyez pas que ce jour reste anecdotique, au contraire. Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est grâce à ce jour (et donc par continuum à nous) que Joe Frazier a gardé son titre de champion du monde face à Mohamed Ali ou que Maurice Papon s’est fait inculpé pour crime contre l’humanité (les deux évènements s’étant passés un 8 mars), mais ce n’est pas un hasard si le Décret sur la contraception est rentré en vigueur le 8 mars 1972. Yeah, les filles, c’est la fête ! On peut jouir sans se faire engrosser.

Donc pour les incultes des jours de fête, le 8 mars, c’est le jour où France Inter n’invite que des femmes pour nous parler de l’actualité, où tata Jaqueline nous radote ses faits d’armes polysexuels sur les barricades de 68 et où normalement on ne lâche rien.

Ce point de détail ayant été éclairci, passons aux choses sérieuses. Comme si de rien n’était, inconscients (ce mot est fort, peut-être n’ont-ils tout simplement pas été mis dans le secret) que les gilets jaunes étaient aux portes de la ville (en réalité à 1200 km, mais avec l’absence de limitation de vitesse sur les autoroutes allemandes, Strasbourg-Berlin, c’est rien), que l’Alsace-Lorraine allait enfin redevenir allemande et que Renault n’avait non plus un, mais deux patrons dont un communiste, les élus municipaux de la ville (en réalité, Berlin est une ville-région, aussi il s’agit plus des députés que des adjoints au maire, mais ne rendons pas cette histoire plus compliquée qu’elle n’est) se sont réunis pour trancher une question épineuse, à savoir : Berlin n’a pas assez de jours de congé !

Voilà les filles l’histoire de notre vie. Non, Merkel n’a pas fait de discours à la suite de l’affaire Weinstein en disant « Mädels, wir schaffen es ! » (un peu le « Yes we can » d’Obama, version mot compte triple au scrabble) imposant de sa stature toute en retenue que les femmes se fassent entendre. Non, Merkel n’a rien à voir dans cette histoire, d’ailleurs au moment où je vous parle, elle roucoule avec Manu dans les thermes d’Aix-la-Chapelle. Non, les partis se sont enfin réunis aujourd’hui, bien décidés à trouver une solution à cette affaire qui traîne depuis des années dans les couloirs de la maison des représentants. Je les imagine commencer leur journée, ces administrés. Ils ont embrassé bobonne, serré d’un petit coup sec et expérimenté leur cravate, se sont regardés juste assez longtemps pour ne pas paraître coquet dans le miroir de l’entrée et ont même souri en se disant : « allez, aujourd’hui je me fais ce verdammt jour férié. On va quand même pas se faire verarscht par les Bavarois ». Petite note explicative à l’usage du public étranger. La Bavière (vous savez, Munich, la bière) est catholique et compte 13 jours de congés tandis que Berlin, l’austère protestante rehaussée d’une pointe de Prusse, n’en compte que 9 (oui, vous avez bien lu, 9, et on n’a même pas de RTT). À vrai dire, côté jours fériés, Berlin est la loose de l’Allemagne. Même dans le Brandenbourg qui nous encercle et où le chômage comme les Patek Philippe à Genève ne s’achète pas, mais se transmet de génération en génération, ils en ont plus. Berlin était depuis trop longtemps la risée des autres (enfin surtout des Länder du sud, tous catholiques, et, comme vous l’aurez à présent compris, chez les cathos, c’est tous les jours la fête), nos administrés ont enfin tranché.

Depuis quelque temps, nous sentions tous, Berlinois que nous sommes, la pression montée. Est-ce que se sera le 30 octobre ? Pour Halloween ? Mais non, pour Luther, bande d’incultes. C’est le jour de la Réforme, alors pour faire la nique aux Bavarois cela fait sens. D’ailleurs, la plupart des Länder du nord l’ont adopté (en gros la Prusse). Mais Berlin est une ville et fermer les magasins le jour d’Haloween, c’est pas terrible. Ils vont aller où nos enfants remplir leur sac de bonbons si c’est férié ? Ils nous ont déjà fait le coup l’année dernière et il a fallu toutes les deux minutes ouvrir la porte à des gremmlins mals déguisés, non vraiment, c’est une très mauvaise idée. Le jour de la fête des enfants comme en Thuringe ? Mais c’est tous les jours la fête des mômes dans cette ville, faut pas déconner ! Le 8 mai alors ? Oui, pourquoi pas. Mais quand même, c’est aussi le jour où l’armée rouge a vidé ses couilles sur 80 % des Berlinoises (en terme moins vulgaire, c’est le jour de l’entrée des chars de Staline dans la ville, les 20 % restantes étant soient des nouveaux nés, soient octogénéraires). Enorme dilemme comme vous pouvez l’imaginer. Jusqu’à…

Ce que Derya Caglar du SPD (une sorte de Benoit Hamon avec 10 % de plus aux élections) lève son doigt pour proposer (je l’imagine un peu honteuse et discrète) le 8 mars. Bien sûr, il a fallu en discuter. Le FDP (Alain Madelin, eh oui, chez nous il y en a encore) s’est écrié que pour une ville surendettée, octroyer un jour de plus aux travailleurs (dans leur jargon, il s’agit certainement de salariés), c’était une énorme connerie, mais comme ce parti a été absent de la politique ces 5 dernières années, il n’a pas pu suivre l’histoire avec la Bavière, alors il ne faut pas leur en vouloir. Le CDU, droit dans ses bottes, s’est insurgé que Berlin n’honore pas Luther (avec une population étrangère dépassant le nombre des nationaux, le protestantisme…). Finalement, Derya, ta proposition est passée. Et comme pour la chute du mur ou l’abolition de la taxe carbone pas encore appliquée en France, aussitôt dit aussitôt fait, la loi a été votée et sera appliquée dans six semaines.

Yeah ! c’est à peu près le cri de guerre que j’ai poussé en lisant cette nouvelle sur un poste Facebook du groupe « les mamans de Berlin ». Je suis allée immédiatement vérifier les informations sur le site du Monde qui, comme on peut si attendre, s’en fout complètement. J’ai dû donc me rendre sur la presse sérieuse allemande. Et c’est vrai. J’en ai profité pour apprendre toutes ces petites choses que je viens de vous dévoiler ainsi qu’une autre pas moins intéressante que je m’empresse de vous révéler : BERLIN N’EST PAS TRENDSETTER !!! Non. 29 pays ont déjà sauté le pas et certains depuis longtemps. Pour le coup, vous me direz « Hourra, la révolution est en marche » (merde, c’est dur quand même aujourd’hui d’utiliser cette expression). Le problème ce sont les pays concernés. Tout en haut de la liste (recherche alphabétique et non par éloignement géographique ou ancienneté), j’ai trouvé, l’Afghanistan. Et je continue : Angola, Érythrée, Ouganda, Moldavie, Chine (les femmes seulement), et j’en passe. En Europe, seules La République de Macédoine et l’Ukraine ont férié ce jour-là et ce sont bien sûr les deux seuls pays où je n’ai toujours pas compris s’ils faisaient ou non parti de l’Europe. Bref, si ne pas travailler le jour où nous honorons les femmes et nous battons pour nos droits, veut dire finir en burka… Nous sommes mal barrées.

Mais soyons optimistes, diantre. Cette année, le 8 mars tombe un vendredi ! Ce sont les hôteliers de la côte Baltique qui doivent se frotter les mains. Ont-ils eu vent de l’affaire avant nous afin de faire s’envoler les prix dès aujourd’hui 16 h ? Serait-ce un délit d’initié ? On s’en fiche parce que savez-vous ce que chaque année à partir du 8 mars 2019 nous ferons mesdames ? Nous n’irons pas nous gaver de salade de pommes de terre et de poisson noyé dans la graisse avant la balade si romantique sur les plages de Rügen ou de Darß. Nous allons rester à Berlin, dans cette ville prête à perdre 160 millions, beaucoup à cause des Bavarois et un peu grâce à nous pour aller marcher, banderoles accrochées à nos sacs à dos Fjall Raven. Pour celles qui ont procréées, vous laisserez dès le réveil vos mômes à votre conjoint, à votre voisin, au livreur UPS, que sais-je et vous vous en foutrez jusqu’au lendemain (à moins que votre progéniture soit de sexe féminin, ait de la voix, et boive sec, là vous pouvez la prendre). Parce qu’après notre grande marche entrecoupée de happenings en mode guérilla urbaine, mais classy, nous irons toutes ensembles boire des verres et refaire le monde. Car ce jour-là, et avec ces mots ma messe (ou mon culte, luthérienalement parlant) sera dite, la ville nous appartient.

Amen.

#womensmarch #8marsberlin #jaireussiaplacerlesgiletsjaunespouraugmentermonreferencementsurgoogle #berlinfrauen #wirschaffenes #womensright #internationalwomensday

crédit image: Eugène Delacroix (French, 1798-1863)
Le 28 juillet – la liberté guidant le peuple, 1830
stamped ‘VENTE/ANDRIEU/E. DELACROIX’ (lower right)
oil on canvas
25 3/8 x 32 in. (64.5 x 81.3 cm.)
Painted circa 1830.

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