MURAMBI, LE LIVRE DES OSSEMENTS
De Boubacar Boris Diop
Éditions Zulma, 2011, 272 pages
ISBN 978-2-84304-550-9
Les morts de Murambi font des rêves, eux aussi, que leur plus ardent désir est la résurrection des vivants.
Je venais de terminer L’Autre moitié du soleil de Chimamanda Ngozi Adichi et tentais d’exprimer à une amie à quel point ce livre m’avait percuté quand elle me dit : « Maintenant, il serait temps que tu passes aux choses sérieuses » et me recommanda la lecture du Livre des ossements. En riant, elle glissa « Toni Morrison dit de ce livre que c’est un miracle ». Ma lecture du Chant de Salomon datant de quelques jours, elle ne pouvait mieux dire pour que je commande dans l’instant ce livre sur ma liseuse.
Un miracle ? Si Toni le dit… Mais à quoi tient un miracle en littérature et surtout, qu’est-ce que c’est ? Un livre étonnant qui suscite l’admiration ? Un livre qui n’aurait pas dû s’écrire ? Alors oui, ce livre est un miracle :
Parce que Boubacar n’est pas Rwandais, il vient du Sénégal et donc est francophone.
Parce que ce livre est au commencement une résidence d’auteurs commanditée par la France, quatre ans après le génocide au Rwanda. Un travail de médiation, si vous voulez, d’auteurs africains francophones pour parler d’une ancienne colonie allemande puis belge. Un travail de mémoire, pas un roman.
Pourquoi cet intérêt soudain de la communauté francophone pour le pays aux mille collines ? Nous sommes très loin de la France… Entre-temps les novices auront lu « Petit pays » de Gaël Faye et auront compris que quelque chose ne tournait pas rond dans l’Empire de France mitterrandienne et qu’il est temps que la France reconnaisse son rôle actif dans le génocide le plus dévastateur par son ampleur et sa brièveté dans l’histoire de l’humanité.
Diop pointe que non, le génocide rwandais n’est pas un énième massacre africain, qu’il n’est pas propre à la soi-disant violence bestiale que l’on attribue facilement à ce continent. Qu’il s’agisse du Biafra, du Libéria, du Niger, du Mali et j’en passe, ce n’est jamais le cas. À travers ces atrocités, l’humanité s’exprime.
Le Rwanda n’est pas de taille à troubler le sommeil de l’univers.
C’est certainement ce que bon nombre de militaires, diplomates et autres politiciens français ont dû penser quand ils ont armé les mains des génocidaires et puis fermé les yeux sur les charniers, le corps des femmes violées puis empalées, des enfants décapités. À travers les vestiges d’un peuple anéanti, Diop ouvre les portes des églises et des écoles sanctuaires et regarde l’un après l’autre les cadavres momifiés pour comprendre, pour ressentir aussi et le restituer.
Oui, Toni a raison, c’est un miracle. Tout d’abord parce que l’ironie veut que la commande vienne de France, de ce pays qui continue à fermer les yeux ou les détourne et où les acteurs du génocide continuent à pavaner à l’Élysée (Hubert si tu m’entends ?) Parce que ce n’est absolument pas un catalogue morbide, mais un roman, un grand roman. Parce qu’une fois de plus la littérature africaine francophone nous met en présence d’une langue infiniment plus riche, vivante et épurée que la littérature hexagonale. Il y a des éditeurs à qui l’on fait confiance les yeux fermés. Les éditions Zulma sont l’un deux. Offrir à l’humanité la possibilité de lire ce livre est un cadeau inestimable. Oui. C’est un livre nécessaire si on s’intéresse à l’Afrique et surtout si on ne s’y intéresse pas. Baboucar Boris Diop est à l’image de son héros, un raconteur d’éternité.
Avec ses motsmachettes, ses motsgourdins, ses mots hérissés de clous, ses mots nus cet auteur nous fait regarder le monde à travers ses yeux dessillés, impossible alors de ne voir autre chose que ce que lui-même voit.
4e de Couv. Construit comme une enquête, avec une extraordinaire lucidité, le roman de Boubacar Boris Diop nous éclaire sur l’ultime génocide du XXe siècle. Avant, pendant et après, ses personnages se croisent et se racontent. Jessica, la miraculée qui sait et répond du fond de son engagement de résistante ; Faustin Gasana, membre des milices du Hutu Power ; le lumineux Siméon Habineza et son frère, le docteur Karekezi ; le colonel Perrin, officier de l’armée française ; Cornelius enfin qui, de retour au Rwanda après de longues années d’exil, plonge aux racines d’une histoire personnelle tragiquement liée à celle de son peuple. (courtoisie des éditions Zulma)
Boubacar Boris Diop Romancier et essayiste, Boubacar Boris Diop est né à Dakar en 1946. Après avoir travaillé pour plusieurs journaux sénégalais, il continue de collaborer à des titres de la presse étrangère. La résidence d’auteurs « Rwanda : écrire par devoir de mémoire » lui a permis de prendre toute la mesure du génocide. Né de cette expérience, Murambi, le livre des ossements a été traduit en plusieurs langues. (Courtoisie des éditions Zulma)
Pour prolonger la lecture
Rwanda, mille collines, mille traumatismes de Colette Braeckman (Éd. Nevicata, 2014)
L’Autre moitié du soleil de Chimamanda Ngozi Adichie (Éd. Folio, 2008)
Petit pays de Gaël Faye (Éd. Grasset, 2016)
American Darling de Russel Banks (Éd. Actes Sud, 2005)
Revue XXI, n° 39 « Nos crimes en Afrique »