#FBM 17 – le retour

IMG_7881 (1)Ouf ! C’est fait. Comme disait l’autre « mais qu’allait-elle donc faire dans cette galère ! » Car les jours pros comme les journées portes ouvertes sont une jungle où il faut s’armer de calme et de renoncement.

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Mes seules expériences de foire remontent à plus de trente ans quand nous rendions visite à mon père sur son stand au salon de l’agriculture. La Buchmesse, c’est autre chose. Assurément. Six fois plus gros que le salon de l’agriculture (pour ceux qui connaissent, faut donner des repères, c’est important…), le rapport est démesuré (note pour plus tard : comparer les budgets de l’agriculture et de la culture…). Tandis que les auteurs bankable enchaînent les entretiens, tables rondes, conférences, happening et autre signature de manifeste, les éditeurs cantonnés dans une autre halle (ni trop loin ni trop près…) enchaînent les rendez-vous avec les agents littéraires venus des quatre coins du monde. En errant dans les allées, on glanera des bouts de discussion qui feraient bondir ces fameux auteurs qui perdent leur voix/e à l’autre bout des halles 1, 3 et 4.

« Non, mais vous rigolez, 5000 ! Un bouquin sur Jésus en Italie, avec tous vos croyants vous en écoulez facile 15 000. L’opus fait quand même 2000 pages, il faut rentabiliser la traduction. »

« C’est mon meilleur salon, pour l’instant, je me suis fait 60 000 en deux jours. »

« On nous demande des résultats et on n’est pas formé aux techniques des agents. Le big boss est venu 5 minutes le premier jour et nous laisse en plan. Faut qu’on lui dise qu’on a besoin d’un coach. »

IMG_7885 (1)Pas une fois je n’ai entendu un mot sur les livres et leurs auteurs. Des objets marchands, marchands, marchants. Ces auteurs d’ailleurs, je les ai trouvés bien seuls au milieu de ces journalistes allemands ou français, accompagnés (s’ils ont de la chance) par une stagiaire de l’institut français ou leur traducteur. Leurs fameux éditeurs ? Aucun n’était présent à leurs côtés, de près comme de loin. Trop occupés ailleurs, ni trop loin, ni trop près. Quand on sait qu’un auteur touche entre 8 et 15 % (en fait, il n’y a que Houellebecq qui touche autant) sur le prix de vente d’un livre (oui, oui, c’est bien cela, sur un livre que vous achetez 15€, seul 1 €50 revient à l’auteur) et que cette côte-part diminue comme peau de chagrin sur les éditons poches et les traductions à l’étranger, on peut dire sans trop se mouiller, que Frankfurt, l’auteur le fait pour la beauté du geste, ou peut-être pour se faire alpaguer par une autre maison d’édition.

Jeudi se passe ainsi à écouter d’un côté des auteurs prôner que l’avenir du monde se joue dans le langage et que seul l’auteur est à même de nous sauver et de l’autre à errer dans les allées pour tenter de comprendre comment fonctionne ce microcosme qu’on appelle communément « le milieu de l’édition ». Que vous ayez l’affront de vous commettre dans l’écriture de romans, n’essayez surtout pas de les approcher, ils vous riront au nez ! Car l’éditeur craint l’auteur encore non publié, ce petit rien qui n’a pas fait ses preuves, aigri (la preuve !) et bizarre (à force de se battre contre des moulins à vent, c’est sûr on devient tous un peu zinzin). Il fuit son regard, le repère à 100 m, et surtout ne répond pas quand on lui dit « excusez-moi… » Alors ce fameux rien change progressivement de stratégie, se dit qu’il passera plus de temps du côté des auteurs en espérant secrètement que leur aura déteindra un peu sur eux.

IMG_7887C’est là que Frankfurt produit parfois des petits miracles. Sur la longue liste des deux cents auteurs ici présents que vous avez lus avec soin, peut-être dix auront aiguisé votre attention et deux suscité du désir. Pour moi, il s’agissait d’Annie Ernaux et de Philippe Djian. Et comme à Frankfurt, personne (ou presque) n’a lu Les Années et que personne n’a fait le lien entre Elle et Oh, les auteurs sont tranquilles, personne ne les connaît. En pleine discussion avec Djian, une Allemande nous interrompt pour poser des questions sur Walden. La dame d’un certain âge révèle assez vite qu’elle est auteure. Ce à quoi l’intéressé répond:« comme moi ». « Et vous avez beaucoup publié ? » Djian sans fausse modestie de dire : « Quelques livres, effet. » Moi qui suis à côté voudrais crier, « vous parlez à un immense auteur ! ». Mais à vrai dire, cette interruption me détend. On est en terre inconnue ici et on a le droit de discuter de tout et de rien avec ces grands bonshommes sans honte et sans complexes. Alors avec son fils, on divague sur la poésie sonore, la Suisse, l’étranger. Cette bulle d’air m’a sauvée ! J’ai arrêté de me dire « il faut que je rencontre des gens » pour profiter de quelques apartés tellement plus enrichissantes qui finalement auront nourri mon travail et consolidé ma résolution de m’accrocher coûte que coûte à ce que je fais.

visuel-match-ecrivainscgoethe-institut_philippe-lelluch_511x222Oh, cela prendra du temps. Je ne me leurre pas. Il y a peu de chance que ce travail se fasse massivement entendre, mais soyons fou, mettons-nous rêver d’une publication et puis deux, peut-être quelques prix d’estime et qui sait, moi aussi pourrais rejoindre l’équipe de foot des auteurs. Ces auteurs seront mon dernier coup de coeur. Perdus entre les lignes de métro et RER d’une gare du centre-ville, je les ai ramenés à leur hôtel. Cinq auteurs un peu gris (dans les deux sens du terme) qui refusent de me donner leur patronyme, persuadés de toute façon que je n’en connaîtrai aucun. Et ils ont malheureusement raison. Je ne les connais pas. Mais j’ai regretté. Il y avait en eux tellement plus d’humanité, d’amour sincère du livre que dans les deux cents Noms que j’ai croisé. Je suis partie avant le match, incapable de supporter une heure de plus la foule qui s’amasse pendant les portes ouvertes, de voir les éditeurs français remballer aussi vite que possible leur matériel pour filer dans le premier train de peur qu’un quidam ne leur pose des questions ou veuille acheter un livre (ah oui, car à Francfort, malheur à celui qui voudrait acheter directement un livre chez un éditeur), de voir les auteurs répondre pour la énième fois à des questions ineptes pour les beaux yeux de la ZDF et d’Arte (note aux futurs journalistes, surtout ne jamais chercher à plonger dans l’œuvre, concentrer ses questions sur l’histoire, ce qui comme tout le monde le sait, n’est qu’un prétexte à l’écriture).

IMG_7878Une exception. La conférence d’Annie Ernaux et Didier Eribon. La grande dame a conquis la salle qui ne voulait pas laisser Leïla Slimani s’asseoir à sa place pour la conférence à suivre. C’est avec admiration et la voix tremblotante que je suis allée la voir, retrouvant pour un instant seulement le vrai plaisir du lecteur devant ses idoles.

Pour le plaisir, aphorismes d’auteurs vivants ou morts glanés pendant la foire :

« Aucune langue n’est langue maternelle » Marina Tvetaïeva à Rilke

« Le présent nu est intolérable » Borges

« L’auteur aujourd’hui doit naviguer entre la tentation de dominer le réel et de s’abandonner au réel » Chamoiseau

La littérature c’est cela : dire l’infini avec cinq mots » Daoud

« Imaginer sa mort oblige à sauver les souvenirs du monde qu’on a vécu » Ernaux

Je vous laisse méditer avec le plat qui faisait saliver Dumas et Nerval ! Impossible d’aller à Frankfurt sans manger de la Grüne Sosse…

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